mercredi 24 mars 2010

Homo flexibilis

Alors voilà. Travail et loisirs sont difficiles à concilier, c'est pas un scoop. Surtout dans le cadre métro-RER-bus-gros boulot-tout petit dodo. C'est pourquoi, très chers lecteurs toujours clairsemés (par-delà le vaste monde s'entend, car comme Dom Juan, mais en version philanthrope, j'ai un coeur à aimer toute la Terre...), j'ai passé deux mois sans vous écrire, et j'en suis bien désolée.

Se r-éveiller

Si j'écris aujourd'hui, c'est que, clouée au lit par une gastro dont je vous passerai les détails scabreux, je n'ai plus que ça à faire.
- Ouais, c'est bon la malade, sors donc ce que t'as dans le ventre plutôt !
- Justement, vaut mieux pas actuellement, si vous voyez ce que je veux dire...
- Ouais bon, façon de parler, arrête de tourner autour du pot...
- Encore ! ce que vous êtes lourds : je suis ma-la-deu, complètement ma- la- deeeu !

Mais quand le corps rappelle sa rude loi, on se souvient alors qu'il nous reste un cerveau, qu'en plus nous n'utilisons qu'à 10 %, ou quelque chose comme ça, comme l'ont bien dit les scientologues ou je ne sais quelle autre secte visant la pleine exploitation -financière, ultime supercherie- de nos capacités mentales.

Bref, que faire de cet organe resté amorphe, laissé pour mort ? L'utiliser pardi ! Et pour cela, il faut tout doucement se remettre à penser, et plus dur encore, à formuler sa pensée par la parole, ou mieux par celle qui ne fait pas de bruit : la parole écrite, qui laisse sa trace en silence, discrète, mais qui veut être lue, et n'attend pas forcément de réponses, mais des réactions secrètes, oui !... Si l'on pense sans parler, ou sans écrire, que se passe-t-il ? La gelée cérébrale remue, certes, mais ne tient pas. CQFD.
Que faire pour revenir à ses pleines facultés mentales ? Tout d'abord, une hygiène de vie est nécessaire. Qui ne dort que peu, ou trop peu, ou mal, pense peu, trop peu ou mal. Les nerfs en pelote, sa vie n'est que souffrance et gémissements. Du coup, sa paupière droite (c'est toujours la droite) tremble intempestivement, c'est une sorte de lifting vrombissant, qui vous donne l'impression de ressembler à de la tôle ondulée, alors que rien n'y paraît... Damned, même votre oeil vous échappe et ça ne se voit même pas !

L'Homo flexibilis est arrivé !

Ensuite, après une cure de magnésium, retrouver la douceur de la routine : l'Homme est un être d'habitudes. C'est pas vrai qu'on est flexibles, adaptables, dynamiques et tout le bataclan qu'on sort pour se faire embaucher, augmenter, etc.
Comme il y a deux mille ans, on aime toujours manger, boire, dormir, se reposer, jouer, et on travaille parce qu'il le faut. Et comme il le faut, autant le faire bien. Mais on n'est pas sur Terre POUR travailler, travailler, arrêter un peu de travailler et aller travailler. Ou si ? Me dites pas qu'on est arrivés à la fin de l'Histoire, au point G du Développement ? Parce que si c'est le cas, je dis : remboursez ! Je retourne planter des betteraves, je n'aurai qu'une seule robe, une cabane en pierres et des chèvres. Ça vaut pas le coup de dépenser son temps et de dépenser son énergie pour dépenser son argent ! Mais alors il faut éradiquer la télé, les affiches, qui suscitent l'Envie, cette gueuse. Tout le monde n'est pas un petit ascète incorruptible.

Mais il faut bien convenir qu'après la chute de l'Homo Oeconomicus vient l'ère post-moderne (car maintenant on est après, ça me paraît clair...) de la grande remise en question et on voit apparaître la race mutante de l'Homo flexibilis qui tel Janus a deux faces intimement liées :

1) l'Homo otiosus obligadusque (traduisez : ''L'homme oisif et obligé (de l'être)" - obligadus, ça n'existe pas, mais c'est pour que tout le monde comprenne). Ben voui, va falloir trouver des occupations, je vous l'dis moi parce qu'on redécouvre l'otium antique, bien obligés, si on a le malheur de vouloir changer de boulot, je vous parle d'expérience, ou s'il y a eu licenciements économiques, licenciement tout court, ou la banale fin de CDD, ou encore ceux qui ont jamais trouvé : les jeunes, deux fois plus nombreux à ne pas avoir de boulot 6 mois après leur diplôme, quand ils en ont un, et qui, ainsi, comprennent de suite la couleur.
Et l'alter ego de l'Homo otiosus obligadusque est ...

2) l'Homo laboriosus fatigatusque (l'Homme qui travaille et qui est fatigué de le faire). Ici je ne détaille pas tout le monde (sauf ceux qui ont jamais travaillé) connaît.

Donc l'Homo flexibilis apprend que rien ne dure, rien n'est stable, et que si d'aventure il veut changer et non être échangé, ce sera dur, très dur, car la Société, telle un suzerain, n'admet pas qu'on veuille être flexible pour soi.

Comment sortir de ce dilemme ? Il faut partager le travail ou réorganiser le travail, cela paraît évident, mais comment ?

Il faut réagir, sinon on va finir encore plus aliénés qu'avant. Avant, Arlette disait :
''Travailleurs, on vous spolie !''
Maintenant, c'est nous qui disons : ''S'il vous plaît, exploitez-moi ! Spoliez-moi ! Exfoliez-moi même mais prenez-moi ! Mais me laissez pas où je suis.''
Où on est, c'est-à-dire dans la nada de nada du no man's land. C'est ainsi qu'il y a quelques jours, une amie a éclaté en sanglots. Ça fait un an qu'elle est au chômage, qu'elle se bat contre des moulins. Elle est dans la com', enfin, plutôt hors de la com' en l'occurence. On l'a fait aller à Genève pour un entretien avec un groupe basé aussi... à Paris. Nada. On lui a proposé de travailler à l'oeil pour se faire de l'expérience (elle en a déjà, elle a 32 ans...). Nada. Bref, quelle issue ? Comment ne pas craquer ? Que lui dire, à part les mots trop usés : Tiens bon, courage !

Le Monde d'hier

En fait, je me demande comment c'était avant, dans un monde stratifié et stable. C'est le passé qui aujourd'hui me paraît être de la science-fiction. Je ne suis pas pour retourner à un monde où on naît riche et on le reste, et idem pour les pauvres, mais quand même on pourrait pas arriver à un juste milieu ?
Le livre de Stefan Zweig, Le Monde d'hier, que j'ai adoré et dont j'ai rabattu les oreilles à mon entourage proche (ce sont les premiers heureux quand j'écris au lieu de parler), donne des indications précieuses à ce sujet et nous fait voyager dans le temps. Né en 1882, l'auteur raconte, lors de son exil en 1941 au Brésil, fuyant les nazis, lieu où malheureusement il s'est suicidé en 1942 avec sa femme (fallait attendre encore un peu, bon sang !), à quoi ressemblait l'Europe dans la première moitié du siècle. Je n'ai pu m'empêcher de rêver de cette époque.

Chose amusante, les bourgeois d'alors faisaient tout pour paraître plus vieux car c'était signe de maturité : ils se laissaient pousser la barbe, marchaient lentement, prenaient de l'embonpoint. Voyez ce que vous avez loupé messieurs ! Il parle peu des femmes si ce n'est pour évoquer le changement dans l'entre-deux guerres, l'abandon des corsets pour des coupes plus confortables, et le développement d'une camaraderie avec les garçons, une plus grande liberté de moeurs.

Il raconte comment on pouvait voyager sans visa, sans passeport partout dans le monde. Citoyen du monde, et surtout fervent croyant en l'Europe, lui-même voyage sans cesse, rencontre de nombreux écrivains et artistes et devient leur ami (Romain Rolland, Rodin, Émile Verhaeren, Rilke...). Il raconte enfin la montée des nationalismes, l'avènement d'Hitler, l'incrédulité des gens qui ne croient pas qu'une deuxième guerre puisse avoir lieu. Il dit comment tout ce qu'il a construit s'est effondré. Alors qu'il était reconnu, étant Juif, ses oeuvres sont censurées. Et puis l'exil. L'exil forcé, ce n'est pas le voyage. Ce philanthrope résistant et mobile, cet artiste merveilleux, n'y a pas survécu. Parce qu'il lui manquait l'espoir.

Appel à la population !

De même, l'oisiveté qu'est le chômage, ce ne sont pas des vacances. C'est une tension permanente vers un inconnu qui se dérobe sans cesse. Alors, en attendant la reprise, si tant est qu'il y en ait une, qu'est-ce qu'on peut faire ? Moi, je dis qu'il faut se regrouper et en parler pour commencer. Avis aux amateurs ! Puisque c'est un vrai problème, il doit bien y avoir une solution, non ?

Sur ce, à plus !