mercredi 15 septembre 2010

Dans l'antre des Halles

Alors voilà. Comme je disais dans le précédent post, après un hiver digne des romans de Jack London, avec juste les loups en moins, sans passage par le printemps, on a eu un très beau mois de juillet à Paris.
Je commençais mon nouveau travail, avec la chance d'y aller en Vélib', aubaine fabuleuse à Paris, qui est sans conteste la ville française championne de la promiscuité dans les transports en commun.
J'ai beaucoup flâné ce mois-là, et même, expérience ultime, je me suis aventurée jusque dans l'antre des Halles. Oui, les Halles... ce n'est plus un grand marché couvert comme son nom le rappelle; c'est devenu la plus grande station de métro du monde (Châtelet-Les Halles), et l'étage au-dessus, mais toujours en sous-sol, c'est un immense centre commercial en plein coeur de Paris.
''Les Halles, allez-y !''*
Cela pourrait être son slogan.
*...mais vous n'en reviendrez jamais ! pourrait être la petite note de bas de pub indispensable à toute publicité qui se respecte de nos jours, et qui revient à poser son exacte contraire
Autres exemples, à peine modifiés, qui vous parleront peut-être davantage :
''Bouffez plein de cette chantilly, mettez-en partout !''*
*Pour votre santé, évitez de vous bafrer de trucs aussi caloriques. Devenez une bête de sport pour compenser, et tout compte fait, évitez d'acheter ce produit.
''Achetez ce bon gâteau pur beurre ! Miam !
*''Pour votre santé, ne mangez surtout pas ce monceau de graisse et de sucre !!''
''Maman, Papa, on va à la Glace Quotidienne ?!''
* Pour éviter que votre enfant ne soit obèse et ne vous gonfle régulièrement avec l'achat de cette glace, ne passez plus devant ce panneau !
''Devenez plus belle avec des fesses plus bronzées grâce cette super crème''*
* Si vous ne voulez pas attraper le cancer de la peau, évitez de vous exposer malgré ce qui est écrit ci-dessus.
Ça s'appelle pas une injonction contradictoire ça ? On vous donne des envies, mais faut assumer après les conséquences, vous étiez prévenus . Ben voilà, notre société, très évoluée comme chacun sait, ne fait que ça : vous avez le choix entre tel et tel produit (puissance 100), donc vous êtes libres. CQFD !!! Y a qu'à voir le nombre de céréales ou le nombre de marques de yaourts, quasi identiques (c'est des yaourts quoi !) dont on dispose dans les supermarchés pour voir qu'on est dans une société où on est libre de nos choix, n'est-ce pas ?
Autre exemple : la pub hybride. Vous savez, c'est celle avec une fille qui a la tête d'une femme de 30 ans mais des hanches aussi étroites qu'une gamine de 15 ans, monstre mythologique moderne, hybride comme le sphynx, les sirènes...
''C'est l'été, mettez des petits monokinis ficelle à 5 euros made in bangladesh ''!
Là il la faudrait plusieurs astérisques !
*attention, ne faites pas ça dans la vraie vie si vous avez plus de 15 ans, ce serait immonde : maillot ficelle = effet bourrelets garanti''
*''en achetant si peu cher, vous participez à l'exploitation des pays émergents''
*''en fait,même quand c'est cher in fine, on exploite ces travailleurs, alors lâchez-vous sans remords''

Marre des pubs de femmes à poil et des potiches
Petit coup de gueule au passage, j'en ai ras-le-bol de voir des femmes à poil tous les coins de rue. Sur des revues, sur des panneaux, et dans les kiosques, à hauteur des yeux d'un adulte (ou à hauteur d'un enfant de 8 ans qui lève les yeux), on nous inflige la première page de plusieurs revues pornos, avec de petites étoiles sur le bout des seins, sur le sexe et le trouduc (appelons une chatte une chatte...).
J'ai l'impression d'être la seule que cela choque; j'en viens même à penser que nous ne sommes pas pour rien dans la montée du voile et de l'intégrisme. Dans notre pays, sous prétexte de liberté de la presse, la femme est exposée comme un bout de viande, son corps est utilisé de façon extrêmement banale pour le moindre objet de consommation : fringues, shoes, médicaments, yaourts, gel douche, matelas, vacances ou alors, bien sûr, pour des régimes, etc. et personne ne s'en émeut, cela paraît normal.
Les photos peuvent être belles, certes. Mais la finalité et les poses d'affiches de pub me gênent. Une photo d'art, une sculpture de femme nue, cela peut être beau, laid, émouvant, intéressant en tout cas, et ça n'a pas de fin autre que la recherche esthétique. Une pub, c'est bien autre chose : ça sert toujours à vendre quelque chose. Soit la femme est nue, ce qui la plupart du temps suffit, soit les poses sont sexualisées à l'outrance dans les pubs de mode (ou même de matelas !), on voit des jeunes femmes jambes écartées (pieds en dedans, tendre reste de l'enfance... ça doit faire ingénue), main négligemment posée entre les cuisses, fesses tendues en arrière avec le dos cambré, moue boudeuse, lèvres entrouvertes, léchant parfois une glace ou une sucette des fois que ça serait pas assez explicite...
Sérieusement, tout cela n'est plus subversif de nos jours. Donc le sempiternel argument libérateur, célébrant la beauté de la femme en même temps que son émancipation, ne tient plus la route. Je pencherais plutôt pour son contraire : cette image de la femme, quel modèle nous renvoie-t-elle sinon à la femme-objet, destinée non seulement à plaire, mais à plaire sexuellement, et en y allant de plus en plus franco. Je la trouve très aliénée et aliénante moi cette femme si dépendante de ce désir qu'elle est sans cesse supposée provoquer. Je ne trouve pas ça très sain. Et ce n'est pas en mettant autant d'hommes à poil qu'on résoudra la question (éh non mesdames, désolée...).
On est à présent dans la surenchère. Tout a tellement déjà été montré, comment retenir l'attention ? C'est ainsi que cet été, à Paris et dans d'autres grandes villes, on a pu voir nombre de femmes se tordre les chevilles, juchée sur des échasses faisant un peu... provocant pour le moins : 20 cm, clous, lanières, il ne manquait que le fouet ! Très fort la mode : ce qu'on appelait avant des ''chaussures de putes'', ont été à peine retouchées, et nous voilà avec du porno chic, - enfin chic, ça dépend pour qui, mais n'empêche, marcher avec ça c'est un tour de force ! Elles sont toujours prêtes à souffrir pour plaire, les femmes, on peut compter sur elles.
Les féministes sont beaucoup plus actifs dans les pays anglos-saxons. Chez nous, notre féminisme est peu fédérateur, j'ai le sentiment qu'on se perd en discussions, comme toujours. Comme l'Italie, nous restons fondamentalement un pays machiste, il n'est qu'à voir le peu de femmes élues. Le nombre de potiches dans les émissions-Tv italiennes bat tous les records je pense. La moindre émission de variété contient immanquablement un vieil homme et une grande, très grande jeune femme à robe à strass et hauts talons (hauts talents, avais-je écrit; peut-être, mais on ne le saura jamais, car elle n'est pas censée dire plus de trois mots !), le dépassant d'une bonne tête. On est dans des schémas plus que primaires : le patriarche vigoureux et la jeune femme qui fait joli et surtout : sexy. Car joli, c'est nase, maintenant il faut être sexy, en portant des habits réduits au strict minimum, ou en prenant des poses lascives, ou en portant des seins refaits, qui sont les plus efficaces en fait : ils parlent d'eux-mêmes. Mieux : ils semblent doués d'une vie propre, car bien droits, bien hauts, ils vous regardent, tels deux obus. Heureusement que le patriarche y a été habitué depuis ses débuts, à l'aube de la télévision, sinon son coeur aurait lâché depuis fort longtemps !
Prise au piège
Mais refermons cette parenthèse de révolte contre la société vilaine pas gentille capitaliste, et son peuple de moutons qui veulent tous avoir le même poil, même s'il faut pour cela se mettre à poil, et revenons à nos Halles.
J'étais avec deux amies, et j'avais 20 minutes avant un rendez-vous avec ma cousine, alors je me suis dit : ''Tiens si j'allais à la Fnac''. Je me rappelais y être allée un an auparavant. Naïvement, je croyais pouvoir m'orienter normalement, enfin je veux dire : j'avais oublié quel cauchemar c'était.
D'abord, rien que pour arriver au rayon livre, on a tourné comme des mouches étourdies par du vinaigre, on a tourné, viré, demandé. L'accès à la culture est ardu, comme chacun sait, nous persévérâmes donc. Au bout de 10 minutes, victoire, on arrive au temple du savoir !
Las, c'est à ce moment que ma cousine m'appelle : ''Bah alors ? je t'attends devant Saint Eustache !'' Damned, c'était déjà l'heure de mon rendez-vous ! Je prends congé de mes amies, qui elles, regagnent, insouciantes, le métro, seul endroit où il est facile d'aller.
Mais la sortie au grand air, bon Dieu, la sortie ! Les architectes qui ont conçu cette... chose étaient plus malins que Dédale pour enfermer le Minotaure ! Tel ce monstre sanguinaire, j'aurais été prête à me repaître de quiconque, si ça avait pu m'aider à m'échapper de cet antre de la consommation !
Attirée par la lumière naturelle comme un insecte en perdition, je me suis retrouvée dans l'espèce de cour au milieu, mais impossible de là de voir l'église, pourtant énorme, de Saint-Eustache, car cette cour est si encaissée qu'on y est comme dans un trou. Vers quel côté me diriger ? Est-ouest-sud-nord sont devenus gauche droite derrière devant ! Même pas de trace de de mousse sur des arbres pour m'indiquer le Nord (normal, il n'y en a évidemment pas)!
Comble de l'ironie ou du sadisme, on ne voit jamais de sortie même si elle est indiquée partout ! Plusieurs chemins sont possibles, mais aucun nom n'évoque rien, sinon des endroits kabbalistiques comme ''La Porte Carrée''. Mais elle pourrait bien être triangulaire ! On s'en fout, on veut trouver la sortie de l'Église Saint-Eustache, la voie du salut terrien!
Quand on ne sait pas où aller, on demande aux gens, et là, surprise : ceux qui y vivent toute la journée, vendeurs dans les boutiques, n'en savent pas plus ! Ils prennent tous les jours le même trajet, et basta (ils sont pas fous !), telles de braves taupes industrieuses, les malheureux. Tout à coup, je vois trois CRS qui tels Cerbère, le chien à trois têtes (sauf que là, c'est l'inverse...- bon, elle était facile celle-là, et gratuite, pas bien !), gardent ces lieux infernaux. J'oubliai de préciser pour les non-initiés que les CRS sont nombreux aux Halles car c'est le lieu de villégiature des d'jeun's de banlieue, qui n'iront jamais plus loin dans Paris (et pour quoi faire ? on a tout ce qui faut ici...). D'un geste, ils m'indiquent la sortie, toute proche, cachée au fond d'un couloir...
Avant ma libération, je regarde tous ces jeunes, friands, - non le mot est faible : avides de consommation, qui va les faire exister aux yeux des autres et éviter qu'ils ne soient, comble d'horreur, que des ''bouffons'' ringards. Non, ils ne sont pas pauvres, ils sont habillés comme dans les pubs ! Non, ils ne feront pas la révolution eux non plus (ma grand-mère dit toujours que ce n'est pas ma génération, élevée dans le confort, qui fera la révolution...). Ils ont mieux à faire : ils doivent acheter leur jean Diesel et leurs baskets Nike, et pour ça, même avec des bons plans, faut débourser, et faut taffer d'une façon ou d'une autre, régulière ou non. Ils sont comme tout le monde. Ils sont pris au piège, de l'image plus forte que le reste, de la frime, et de l'antre des Halles.
A plus !